« La paix est le voeux le plus précieux pour 2024 »

Ce vendredi 12 janvier 2024 Marine Tondelier a présenté ses voeux à la presse, conjointement avec Marie Toussaint, tête de liste des écologistes pour les élections européennes. Retrouvez l’intégralité de son discours ci-dessous.

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En tant qu’Écologistes, la paix est le vœu le plus précieux que nous puissions formuler pour 2024. C’est pourquoi Marie et moi, pour nos vœux communs à la presse, avons souhaité vous donner rendez-vous ici, au Mont-Valérien. 

 Le Mont-Valérien, lieu de culte médiéval devenu forteresse militaire au cours de XIXème siècle, Le Mont-Valérien, principal lieu d’exécution de résistants et d’otages en France par l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale, Le Mont-Valérien aux 1008 fusillés, assassinés parce qu’ils étaient résistants, otages, Juifs ou communistes. Le Mont Valérien, choisi après-guerre pour honorer la mémoire des morts pour la France de 1939 à 1945.

Le Mont-Valérien, devenu le 18 juin 1960 le Mémorial de la France combattante. Notre pays porte les stigmates de la guerre. Ils sont encore partout.



Je viens d’une ville du Pas-de-Calais, Hénin-Beaumont, Hénin-Liétard à l’époque, qui le 11 novembre 1918 ne comptait plus que 23 habitants contre 20 000 en 1914. Lorsque l’armistice a été signé, c’était une ville fantôme, sans âme, au sens propre du terme. Sur 4 500 immeubles, pas un seul n’est habitable et 600 sont totalement détruits. En partant, les Allemands ont aussi fait sauter les puits de mine et l’église fortifiée du XIème siècle.

Ce territoire a été un lieu de désolation mais aussi un haut lieu de résistance.

C’est à quelques centaines de mètres de la maison où j’ai grandi, à la fosse dite « du Dahomey » de la ville voisine de Montigny-en-Gohelle qu’éclate le 27 mai 1941 une grève qui se répandra comme une trainée de poudre dans tout le bassin minier, pour devenir ce que l’histoire a retenu comme « la grande grève des mineurs de 1941 » : la plus grande grève survenue dans l’Europe occupée par l’Allemagne nazie mais aussi la plus longue, puisqu’elle durera jusqu’au 10 juin. Les femmes et filles de mineurs y ont joué un rôle primordial, de même que les mineurs polonais. Au point culminant, le 5 juin, les houillères comptabilisaient jusqu’à 100 000 grévistes, soit 80% de l’effectif total. Les mois et les années suivantes, la grève du zèle et toutes sortes de sabotages et freins à la production des travailleurs feront chuter la production régionale de charbon de 30 % alors que les Allemands espéraient l’accroître de 35 %. Ils devront même acheminer dès l’été 1942 des milliers de prisonniers de guerre ukrainiens et soviétiques pour y pallier.

Tout cela, ça ne s’oublie pas. Partout en France, les lieux de mémoire nous le rappellent. A Ablain-Saint-Nazaire, près d’Arras, reposent plus de 43 000 corps dans le plus grand cimetière militaire Français : Notre-Dame-de-Lorette. C’est sa visite régulière, enfant, qui a forgé mes convictions pacifistes.

Mais notre environnement reste aussi un témoignage vivace : chez moi et dans une grande partie du Pas-de-Calais, les femmes enceintes, allaitantes et nourrissons n’ont pas le droit de boire l’eau du robinet, très polluée aux perchlorates et ce pour des centaines d’années encore.

Les perchlorates, ce sont des composés chimiques très solubles issus de l’industrie militaire, qui altèrent le fonctionnement de la thyroïde. On en retrouve dans le sol dans le Nord, en Champagne-Ardenne : en fait tout au long de la ligne de front de la Première Guerre mondiale.

Un milliard d’obus auraient été tirés – il faut y ajouter les projectiles de tranchées, d’avions, les munitions d’infanterie et les munitions chimiques. De nombreux composés toxiques ont été utilisés, à base d’arsenic, de phosgène, d’acide cyanhydrique, du TNT. Or, selon les recherches des géologues, 200 à 300 millions d’obus n’auraient pas fonctionné, menant à 4 800 tonnes d’explosifs introduits dans le sol. Dont la plupart continuent de se désagréger et de polluer nos nappes phréatiques.

La guerre, elle est loin et proche en même temps. Dans le temps et dans l’espace.

Mais la paix a aussi ses victoires. Depuis les 40 dernières années, depuis la crise des euromissiles, l’Europe, synonyme de paix, est devenue un lieu commun.

A l’effondrement de l’Union soviétique, la guerre en ex-Yougoslavie était alors apparue comme une exception – une secousse de l’après-guerre froide, vestige du passé. On a pensé que c’était juste un accident de l’histoire.

Et bien non, désormais, la guerre frappe l’Europe. Les guerres sont à nos portes : en Syrie, en Libye, en Arménie, en Palestine.

Nous en ressentons chaque jour les retentissements dans notre société, certes dans notre économie, mais également dans les tensions qui traversent nos sociétés, où une minorité s’oppose à l’accueil et à l’humanisme nécessaires pour accueillir les victimes civiles de la guerre.

Mais la guerre est présente sur le sol même de l’Europe en Ukraine. Les batailles de Kherson hier ou de Bakhmout aujourd’hui sont des batailles européennes. Et nous devons en tirer toutes les conséquences.

Vous le savez, les Écologistes sont un mouvement pacifiste, qui vise la paix internationale. Oui, les écologistes revendiquent le pacifisme comme une valeur centrale de notre projet géopolitique. C’est une valeur profonde de l’écologie politique. Et ce pacifisme ne signifie pas que nous sommes opposés à toute forme d’engagement de la force en toute circonstance.

La lutte armée des Ukrainiens par exemple, dernier recours pour préserver l’intégrité de leur territoire et de leurs droits est juste et nécessaire. C’est d’ailleurs d’elle dont dépend à terme la liberté de notre continent.

La lucidité c’est la force des écologistes et notre boussole. Nous avons été précurseurs pour dénoncer la guerre de Tchétchénie et les raids russes sur Alep qui ont décimé la résistance syrienne. Et nous savons qu’il faut arrêter l’impérialisme de Vladimir Poutine par tous les moyens économiques, diplomatiques et militaires. C’est pourquoi nous avons soutenu l’aide militaire à l’Ukraine et nous la soutiendrons jusqu’à la défaite de l’armée russe tout en soutenant toute initiative politique qui respecterait le droit international et le retour aux frontières légales de l’Ukraine.

500 millions d’euros d’aide bilatérale quand l’Allemagne a donné 17 milliards ! Une fois de plus, le Président de la République préfère les mots vides aux actions concrètes. Si nous voulons le retour de la paix en Europe, nous devons mettre les moyens à la hauteur de nos ambitions et soutenir le peuple ukrainien et son Gouvernement de toutes les façons.

Comme écologiste, nous savons qu’il n’y a pas de paix sans liberté ni justice. La paix n’est pas un état un peu amorphe où il ne se passe rien. C’est une condition exigeante de notre vivre ensemble.

C’est pourquoi nous devons aussi utiliser tous les leviers pour obtenir du gouvernement israélien un cessez-le-feu immédiat car chaque jour des enfants, des femmes et des hommes innocents meurent des suites des représailles aveugles de cette intervention militaire. Ces leviers existent : intervention de la Cour pénale internationale, ou de la Cour internationale de Justice, arrêt de la coopération militaire, sanctions.

Comme écologiste, nous avons condamné immédiatement et sans ambiguïté les attentats terroristes du 7 octobre et avons continuellement demandé la libération des otages. Mais comment offrir à la paix un espoir si l’intervention militaire israélienne tue des milliers de civils innocents ? Difficile de déterminer avec certitude le nombre de morts sous les décombres à Gaza mais les chercheurs estiment que nous serions déjà à environ 30 000 morts et le triple de blessés. Et on compte 85% de réfugiés parmi un peuple de 2,4 millions de Gazaouis déjà meurtris par la guerre et la dictature islamiste du Hamas.

La guerre frappe l’Europe de toute part et nous devons réagir.

Car l’impact à long terme des guerres menace notre avenir commun. Nous sommes au mont Valérien et ce n’est pas un hasard. Nous devons faire œuvre de mémoire. Mais ce n’est pas non plus pour revendiquer l’héritage de la Résistance.

La Résistance nous oblige et elle nous dépasse. Nous n’en sommes pas les dépositaires. Elle n’est pas le monopole d’un camp. En France, elle fonde notre contrat social.

Les résistants d’aujourd’hui sont en Ukraine et chez toutes celles et tous ceux qui accueillent les réfugiés des guerres qui frappent l’Europe. Je ne veux pas céder à l’idée d’une « guerre » contre le climat ou contre les entreprises qui détruisent le climat. En politique, les mots nous obligent.

  • Nous devons protéger le climat
  • Nous devons nous protéger contre les conséquences des pénuries de ressources et les tensions internationales qui pourraient apparaître.
  • Nous devons organiser la justice sociale et climatique à l’heure où les plus pauvres subissent les conséquences des émissions des plus riches

Mais nous ne devons pas céder à la facilité ou à la démagogie des mots comme certains qui se donnent comme but « le réarmement ». Emmanuel Macron a utilisé 7 fois le terme pendant ses vœux. Tout y passe ! L’économie, les services publics, l’État, la nation et même le civisme !

Comme s’il recherchait un peu d’autorité en brandissant des armes. Laissons les armes aux militaires.

Les services publics n’ont pas besoin d’être réarmés. Ils ont besoin de moyens et de confiance.
L’État n’a pas besoin d’être réarmé, il a besoin d’une boussole politique.
 La Nation n’a pas besoin d’être réarmée, elle a besoin de cohésion et de justice.

L’économie n’a pas besoin d’être réarmée, elle a besoin de règles nouvelles pour respecter les exigences sociales et environnementales. Et les citoyennes et citoyens ? Ils ont besoin de la considération de leurs dirigeants. Voilà les conditions de la paix en France, en Europe, et dans le monde. 

 La paix n’est ni un dû, ni une donnée, c’est une conquête face aux périls du monde.

C’est une exigence que nous nous devons et que nous devons aux enfants qui vont grandir et il ne serait pas juste de leur laisser la responsabilité de réparer nos erreurs présentes et notre inaction.

Nous sommes écologistes, pacifistes.

Nous sommes écologistes et nous avons bien des batailles à mener, mais nous le faisons et le ferons toujours dans la non-violence. Martin Luther King le disait d’une manière magnifique : “La non-violence est une arme puissante et juste, qui tranche sans blesser et ennoblit l’homme qui la manie. C’est une épée qui guérit.”

Protéger, guérir, vivre. Voilà ce que veulent les Écologistes.

Les écologistes aiment le sel de la vie, ce qui nous donne à toutes et tous une raison de vivre.

C’est ici que le 21 février 1944, Missak Manouchian a écrit sa dernière lettre avant d’être fusillé. Il y célébrait l’amour, les enfants, le soleil, l’Arménie. Et il formulait cette bénédiction laïque : « bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la liberté et de la paix de demain ». Aragon ne changera aucun de ces mots puissants dans ses « strophes pour se souvenir ».

La paix et la liberté de demain ne sont pas une certitude mais un combat. Celles et ceux qui les vénèrent plus que tout comme les écologistes en connaissent le prix parfois amer. 

 Mais nous savons pourquoi nous le faisons et ce sont cet état d’esprit et ces valeurs qui nous guideront en 2024 et les années qui suivront.

Marine Tondelier
Seul le prononcé fait foi

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