Les vœux de Marie Toussaint au Mont Valérien

Je ne parlerai pas ce matin du remaniement : car je n’attache pas notre matinée à l’écume des événements, mais au temps long de l’histoire et de la mémoire. 

Pour nos vœux, nous avons choisi un lieu de mémoire, dans un moment où l’Europe semble vouloir la perdre.

Nous sommes ici, sur les hauteurs du Mont-Valérien, réfugiés dans ce café du Père Lapin que je remercie de nous accueillir pour éviter les rigueurs du froid, et pour respecter la volonté de neutralité partisane du Mont-Valérien.

Nous nous inscrivons dans une logique symbolique qui n’est évidemment pas une logique d’accaparement mais une logique de célébration. 

Le Mont-Valérien est un lieu de mémoire, de ces lieux qui forgent une identité nationale commune. 

C’est un lieu qui nous parle d’héroïsme et de compromission, de guerre et de résilience, de barbarie et de résistance. 

C’est un lieu qui nous rappelle les grandes souffrances traversées par notre peuple et aussi notre capacité à les surmonter. 

C’est un lieu qui nous rappelle la valeur inestimable de la paix et de l’esprit de résistance, qui sont, aujourd’hui comme alors, les deux faces d’une seule et même pièce. Ici, ce sont 1009 résistants et otages qui ont été exécutés par la barbarie nazie entre 1941 et 1944. 

Présenter nos vœux ici, c’est donc dire que notre foi européenne ne vient pas de nulle part, qu’elle est ancrée dans l’histoire tragique du continent et de l’humanité.

Nous savons que l’Europe est née dans le sang et les larmes, qu’elle est la fille de grandes blessures de l’histoire, que sa mémoire est couturée de cicatrices qui ne demandent qu’à craquer pour laisser suppurer de nouveau la haine. 

Nous savons que la paix, aussi établie soit elle, n’est jamais sans fragilité. 

L’Histoire est tragique. L’invasion brutale de l’Ukraine par les troupes russes il y a bientôt deux ans est venue nous le rappeler. 

Il s’agit d’un « conflit de haute intensité », comme on dit pudiquement. 

Dans les faits, la guerre, avec ses morts, ses viols, ses destructions, ses vies brisées à jamais. Le temps qui passe ne doit pas altérer notre soutien à l’Ukraine. Nous devons même l’amplifier : le coût politique, moral, humanitaire d’une victoire de Vladimir Poutine serait trop lourd. L’avenir de l’Europe se joue aussi dans la guerre qui fait rage en Ukraine. 

Aucune lâcheté, aucune compromission n’assurera notre sécurité. 

D’autant qu’il existe un lien profond entre le principal conflit armé qui déchire en ce moment même la partie orientale du continent européen – la guerre russo-ukrainienne – et le fascisme qui relève la tête et bombe le torse un peu partout : car détruire l’Union Européenne et ronger les démocraties de l’intérieur est au fond le grand projet de Vladimir Poutine. Il a, pour y parvenir, des auxiliaires tout trouvés, qui sauraient à n’en pas douter lui rendre la pareille s’ils devaient par malheur se retrouver au pouvoir… Celles et ceux qui sont arrangeants avec Vladimir poutine et relativisent les méfaits de sa politique, voire s’en délectent, préparent le pire pour nous. 

Je pense évidemment à Viktor Orban qui fait obstacle à l’amplification de l’aide européenne à l’Ukraine. On voit comment l’Europe illibérale marche main dans la main avec les puissances qui veulent défaire nos démocraties et n’hésitent pas à les intoxiquer de fake news, faisant du mensonge et de la rumeur une arme d’affaiblissement de nos défenses immunitaires démocratiques. 

Les amis de Vladimir Poutine se recrutent également en France. Monsieur Bardella et ses amis du Rassemblement National peuvent bien tenter de faire croire qu’ils défendent les intérêts de la France, nous savons qu’ils sont les complices de ce qui nous menace.

C’est une constance dans leur histoire : ils sont le parti de la défaite, de la collaboration, de la complicité avec la barbarie. 

Pour l’avoir rappelé, l’ancienne première ministre Elisabeth Borne avait été critiquée par Emmanuel Macron. 

On comprend mieux désormais pourquoi : son refus des vérités historiques préparait sa compromission politique. Nous vivons un effondrement. La crise ouverte par l’alliance entre la droite et les macronistes et le rassemblement national n’est pas seulement politique : elle est également morale. 

Cette situation n’est pas le fruit d’un instant d’égarement, mais d’une stratégie du brouillage permanent mise au service de l’ambition d’un quarteron de cyniques qui hâtent l’avènement de l’extrême-droite qu’ils étaient censés combattre. Pour faire passer par tous les moyens un texte funeste pour les droits humains, le macronisme a tout cédé de ses prétendues valeurs dont nous comprenons maintenant qu’elles n’étaient que l’alibi de sa soif de pouvoir. 

France ou est passé ton universalisme, avec cette loi scélérate qui stigmatise, discrimine, étend le domaine de l’arbitraire ? 

Je pourrais m’étendre sur la forfaiture que constitue le vote d’une loi immigration saluée par l’extrême-droite comme une victoire culturelle mais je veux poursuivre sur la question européenne. 

Nous voulons construire une Europe terre des droits et des libertés et pas une Europe forteresse. Nous voulons construire une Europe qui protège et émancipe et pas une Europe qui tourne le dos aux droits fondamentaux. 

Nous voulons une Europe qui fait de l’égale dignité de toutes et tous une boussole, et pas une Europe qui s’appuie sur des discours fumeux sur les racines chrétiennes pour trahir le message d’hospitalité et d’accueil des évangiles.

Or nous voyons les tenants de l’égoïsme et de la haine prospérer sur le terreau de nos faiblesses. 

En Hongrie, mais aussi désormais en Italie, en Suède, en Finlande, en Slovaquie et aux Pays-Bas, les droites extrêmes, les nationaux-populistes, se hissent au pouvoir et imposent petit à petit leur agenda culturel : recul des droits fondamentaux, atteintes à l’état de droit et à la démocratie, opposition forcenée à l’écologie et à la protection du vivant. 

Alors oui, aujourd’hui, j’ai mal à ma France, et j’ai peur pour l’Europe. La fusion des droites se fait contre l’écologie et les droits humains. Elle se scelle également sur la volonté de perpétuation de l’orthodoxie économique qui cadenasse l’Europe. Voilà ce que nous devons affronter. 

Face à cette alliance, nous disons qu’il faut être clair. 

Au moment même où une loi scélérate était adoptée à l’Assemblée nationale, deux accords étaient passés à Bruxelles : 

– le premier sur un Pacte migratoire venant lui aussi durcir les conditions d’arrivée et d’accueil des exilé.e.s cherchant refuge sur le sol européen ; 

– le second, entre les états-membres, sur la réforme du Pacte de stabilité budgétaire sous une forme qui entérine le retour à l’austérité et entravera tous les investissements pourtant indispensables à la transition écologique et sociale. 

Les socialistes européens soutiennent ces réformes inacceptables. Ils ont tort. Et nous leur demandons de la cohérence et de la clarté. Soit on veut changer l’Europe, soit on consent à l’abandonner aux forces du marché et de la régression des droits humains. 

La campagne devra révéler les positions des uns et des autres. J’invite les électrices et les électeurs à demander de la cohérence, et à se détourner des doubles discours.  

Je nous invite également à la plus grande des vigilances sur le retour de brasiers que l’on souhaitait éteints.

Que nos esprits soient en alerte sur ce qui se joue, comme une malédiction jamais éteinte, sur les terres de l’ex-Yougoslavie. Le regain de tension entre la Serbie et le Kosovo n’est pas une péripétie, mais l’annonce de périls immenses si l’Union Européenne ne joue pas son rôle dans les Balkans. 

Car voyez-vous, la guerre qui a jadis ravagé l’ex-Yougoslavie nous renseigne sur les enjeux du présent. Le poison de l’ethnicisation conduit toujours à la montée des tensions intercommunautaires. 

Quand on est habité par le démon des origines, et qu’on cherche à puiser dans l’histoire des raisons de se diviser davantage que des raisons de se rassembler, on entre dans une logique de fragmentation dont on ne connaît pas le terme. 

A ce stade, il faut souligner ici une idée essentielle qui est au cœur de l’exception française : face au concept de nation ethnique, qui vise l’homogénéité des racines, nous défendons le concept de nation civique qui se fonde sur la construction en commun de l’avenir. Si de mon discours on ne devait retenir qu’une idée, je souhaite que ce soit celle-ci. Cette idée de la nation civique est un rempart contre la xénophobie et toutes les passions tristes porteuses de régression. 

J’ajoute qu’aucune paix ne sera durable sur notre continent si nous ne parvenons pas à extirper de nos souvenirs les rêves de vengeance. La mémoire lourde de traumas et les bouches chargées de silences constituent une réserve inépuisable de ressentiment.

L’instrumentalisation politique du passé est un carburant puissant, augurant le plus souvent du pire partout où elle prospère, la poussée nationale-populiste ne se nourrit pas uniquement du carburant de la crise sociale. 

Elle puise aussi à la source jamais tarie des pulsions identitaires, qui, toutes, instrumentalisent le passé, pour hérisser nos sociétés de barbelés infranchissables, symboliques ou réels. 

Je veux dire ce matin que construire la mémoire commune de l’Europe est une tâche plus nécessaire encore que fut l’édification d’une monnaie unique. Le choix de ce que nous choisissons de commémorer est une question politique majeure. Nos célébrations, nos statues, nos noms de place et de rues disent davantage ce que nous voulons être encore que ce que nous avons été. Délaisser l’enjeu mémoriel, c’est trahir l’avenir. Pour cette raison, la question de la politique mémorielle européenne est un enjeu capital.

Peut-on concevoir une politique de la mémoire européenne qui ne soit basée ni sur l’effacement ni sur le ressassement ? Il le faut. 

Nous proposons donc de créer un ERASMUS de la mémoire, un programme d’échange mémoriel destiné à la jeunesse, car l’enjeu de la mémoire ne doit pas être seulement porté par les plus âgés mais précisément venir irriguer les générations nouvelles. Cet Erasmus mémoriel ne serait certes pas la seule pierre à poser sur le chemin d’une convergence mémorielle européenne, mais constituerait un jalon important vers le dépassement des haines, et donc la construction, jamais achevée, de la paix. 

Notre mémoire n’est pas soluble dans la banalisation de l’extrême droite. Notre vigilance ne doit pas fléchir. En Europe à nouveau ressurgissent les bras tendus des saluts fascistes. 

Voilà la réalité du temps. 

Ne laissons pas la fièvre identitaire enflammer la maison commune européenne. Nous savons à quelle logique d’extermination conduisent les chimères de la pureté raciale. Nous connaissons le spectre génocidaire qui hante l’histoire européenne. Nous n’avons oublié ni le génocide de 1915, ni les pogroms à répétition, ni les camps de concentration. 

Vous avez probablement vu comme moi ces images glaçantes le week-end dernier : des centaines de nostalgiques du fascisme italien rassemblés dans les rues de Rome, chemise noire et bras droit tendu… 

Parmi eux, de nombreux représentants du parti au pouvoir, et même le vice-président de la Chambre des députés et maître à penser de Giorgia Meloni… Et accessoirement, bon nombre de militants français proches du Rassemblement National…

Ils ont en commun la haine de l’étranger, qu’ils présentent comme un ennemi. 

J’aimerais rappeler un fait brut : un fusillé sur cinq du Mont-Valérien était étranger. Ils étaient Espagnols, Polonais, Russes, Italiens, ou encore Arméniens, à l’instar de Missak Manouchian, dont nous commémorerons cette année le 80ème anniversaire de la mort. Ils n’étaient pas nés en France, mais ils sont morts pour la défendre. 

Alors ne vous y trompez pas. Si le mont valérien fut un lieu de souffrance, il figure à nos yeux un signe d’espérance, puisqu’il nous rappelle que la barbarie peut être terrassée par la meilleure part de nous-mêmes : celle qui combinant patriotisme et esprit de justice, trouve la force de se révolter pour refuser que l’arbitraire n’étende son empire sur nos existences. 

L’Europe doit se souvenir de cette histoire et y puiser la force de prendre ses responsabilités. 

Je veux rappeler les 100 000 Arméniens qui ont dû fuir le Haut-Karabagh à cause de l’offensive menée par les troupes azéries. L’Europe, par un mélange de lâcheté, de dissensions et d’opportunisme déguisé en « realpolitik », ne s’est pas montrée à la hauteur en cette occasion, et c’est un euphémisme. Je veux citer aussi Gaza, meurtrie, écrasée sous les bombes, et dire que l’Europe doit s’opposer aux déplacés, aux morts, aux orphelins.

L’Europe doit s’opposer à la spirale du crime qui répond au meurtre et ne semble pas pouvoir trouver de fin depuis que ceux qui dans chaque camp avaient sincèrement poursuivi la paix comme objectif commun ont été remplacés par des partisans de la haine sans fin, de la guerre sans horizon, et de la violence sans limite.

L’Europe doit demander un cessez-le-feu immédiat, la libération des otages, et agir pour la paix. 

Une paix que ne pourra intervenir sans la pression constante de la communauté internationale. 

Ce qui se passe entre Israël et la Palestine ne concerne pas seulement Israël et la Palestine. Nous demandons le respect du droit international et nous demandons que la CPI puisse effectuer son travail. Aucune paix ne pourra advenir sans justice.

J’arrive au terme de mon discours. 

Alors que vous souhaiter, que nous souhaiter collectivement pour cette année 2024 ? 

Vous l’aurez compris, je nous souhaite de renouer avec l’esprit de résistance. 

Je nous souhaite une Europe qui se rappelle son engagement fondateur pour la paix, au sein de ses frontières et au-delà. 

Je nous souhaite une Europe qui prend soin de toutes et de tous, des plus pauvres en particulier, qu’ils soient nés ici ou ailleurs. Je nous souhaite d’esquisser un autre horizon, fait de douceur et de concorde, pour les millions d’Européennes et d’Européens qui n’aspirent à rien d’autre. 

Et amis journalistes puisque ce sont des vœux à la presse, je vous souhaite que votre indépendance soit garantie. 

Je vous souhaite que la concentration des médias n’entrave jamais votre esprit critique. Je vous souhaite de l’irrévérence face aux pouvoirs, de l’imagination pour vos éditos, de la lucidité pour vos chroniques, de la liberté pour chacune de vos phrases. 

Je sais les menaces qui pèsent sur votre métier. Nous venons de voir la France d’Emmanuel Macron associée à l’Italie, Chypre Malte la suède et la Finlande militer activement pour autoriser la surveillance des journalistes au nom de la sécurité nationale. Je veux vous assurer que les écologistes seront toujours à vos côtés pour refuser une telle pente. 

Avec espérance, je vous souhaite une très bonne année 2024.

Marie Toussaint 

Seul le prononcé fait foi

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