Protection des journalistes dans le monde: le Parlement européen adopte un rapport ambitieux
Dans le monde, en 2022, plus d’un journaliste a été assassiné en moyenne par semaine. Selon Reporters sans frontières, 533 journalistes sont actuellement détenus pour avoir exercé leur activité journalistique. Ces chiffres, en hausse, appellent une réponse forte de l’Union européenne, tant en termes d’outils de protection des journalistes dans le monde, qu’en termes de leadership dans la construction d’un espace médiatique mondial plus à même de protéger le droit d’informer et d’être informé. C’est l’objet d’un rapport du Parlement européen, suivi pour les Verts/ALE par le député européen Mounir Satouri, adopté aujourd’hui par les eurodéputés à Strasbourg.
Deux textes importants ont été votés pour la protection des journalistes cette semaine au #ParlementEuropéen
Retour sur le rapport concernant la #politique #étrangère de l’#UE en la matière, que j’ai négocié pour les @GreensEFA, et sur les procédures-bâillons à l’étranger https://t.co/nlaxOSvCsk pic.twitter.com/c5fUQR8ngP
— Mounir Satouri (@MounirSatouri) July 13, 2023
Les défis auxquels les journalistes, mais aussi les autres travailleurs-ses des médias, sont confrontés dans l’exercice de leur travail sont multiples. Beaucoup sont exposé-e-s à des restrictions de mouvement, telles que des expulsions et le refus d’accès à un pays ou à une zone particulière, des interdictions de voyager, des arrestations, des surveillances illégales, des intimidations et à l’harcèlement de leurs proches. Pire, bien des journalistes sont victimes de torture, de détentions arbitraires et de violence sexuelle, en particulier les femmes journalistes, voire de menaces de mort, d’enlèvements, de disparitions forcées et de meurtres.
Pourtant, le travail des journalistes et autres travailleurs des médias est essentiel à la démocratie et à l’état de droit. Par la collecte d’informations fiables et pertinentes, ils exposent les violations du droit national et international, la répression de l’État, les crimes financiers et d’entreprise, la corruption, le sectarisme religieux, les réseaux criminels et toutes sortes de violations des droits humains et de crimes et dommages environnementaux.
Des menaces en hausse
Les procès-bâillons
Dans de nombreux pays, les procès-bâillons sont utilisés par les acteurs politiques et financiers dans le but de faire taire les voix critiques ou d’effrayer les journalistes pour qu’ils mettent fin aux enquêtes sur la corruption et d’autres questions d’intérêt public.
L’espionnage numérique des journalistes
L’innovation technologique a accru la capacité des gouvernements, des entreprises, des particuliers et d’autres organismes à espionner les journalistes, violer leur droit à la vie privée et leur droit à la confidentialité de leurs sources, compromettre leur sécurité numérique et leur imposer la censure
L’insécurité des journalistes en zone de conflits
Bien des journalistes et travailleurs des médias sont blessés, voir tués en zone de conflit. Le meurtre de la journaliste Shireen Abu Akleh, l’un des visages les plus connus d’Al Jazeera, a marqué profondément, alors que les responsables au sein de l’armée Israëlienne ne sont toujours pas amenés devant la justice.
Cette insécurité n’épargne pas les journalistes européens. Paradoxalement, et de manière inacceptable, un nombre croissant de journalistes européens, notamment des journalistes d’investigation ou reporters de guerre, sont contraints de se rendre dans des zones de conflit sans assurance car les compagnies d’assurance refusent de couvrir leur séjour.
Le ciblage des lanceurs d’alerte et du secret des sources
Dans le monde entier, les lanceurs d’alerte et leurs éditeurs jouent un rôle clé dans la dénonciation de faits d’intérêt public justifiant leur publication. Souvent, des gouvernements s’attaquent à des lanceurs d’alerte en brandissant le secret d’État, balayant également, de ce fait, le principe du secret des sources.
L’indépendance et le pluralisme des médias mis à mal: intérêts privés et emprises autocratiques
Le manque de financement des médias amène plusieurs dangers graves pour le droit d’informer et d’être informé. Certains acteurs privés, mais aussi des gouvernements, y voient l’opportunité d’exploiter à des fins politiques ou économiques un espace mediatique financièrement étranglé pour intensifier la polarisation sociale ou pour poursuivre des intérêts économiques privés.
Comme le souligne la Rapporteure spécial des Nations Unies pour la liberté d’expression, la concentration de la propriété des médias est une pratique qui va à l’encontre de la démocratie et du pluralisme, car elle entrave l’expression diversifiée des différents secteurs de la société.
Tout en respectant le pluralisme et l’indépendance politique, la présence de médias publics bien financés et solides sont les garants des sociétés démocratiques. Ceux-ci sont toutefois mis à mal par la réduction des dépenses publiques, encore aggravés par la pandémie de COVID-19.
Principales mesures demandées par Mounir Satouri au nom des écologistes
Suivi des procès de journalistes par la diplomatie européenne
La proposition de la Commission d’une directive contre les procès bâillons ciblant les journalistes dans l’UE doit également couvrir la dimension extérieure à l’UE de manière adéquate.
Politique de visa : revoir les règles pour protéger les journalistes nécessitant une évacuation d’urgence
Les visas sont un outil de protection essentiel et, afin d’aider efficacement les journalistes à risque, la Commission doit jouer un rôle proactif dans la mise en place d’un régime européen de délivrance de visas de courte durée pour ces professionnels des médias. Les États membres doivent assouplir les exigences et les conditions de visa pour les journalistes nécessitant une évacuation d’urgence. Les cas comme celui de Hussam Hammoud, brillant journaliste syrien dont le visa était refusé par la France, ne peuvent se reproduire.
Moratoire sur les exportations de cyber-surveillance
Les Verts/ALE exigent un moratoire sur les exportations d’outils de cyber-surveillance comme le logiciel Pegasus, si souvent retournés contre des journalistes. Tout du moins, nous exigeons l’application stricte et un contrôle renforcé du règlement de l’UE sur les biens à double usage et veiller à ce qu’aucune exportation de l’UE ne puisse être effectuée à des régimes autoritaires qui sont suspectés de cibler ou d’attaquer des journalistes. Les exportations comme celles de la France au régime autocratique d’Al-Sissi (Égypte) ne peuvent perdurer.
Créer un fonds d’assurance européen pour les journalistes en zone de conflit armé
La Commission européenne doit proposer la création d’un régime d’assurance européen dédié à l’assurance des journalistes européens se rendant dans les zones de conflit afin de pallier au manque de volonté des compagnies d’assurances privées de couvrir ces personnes.
Soutenir la création d’une task-force de l’ONU pour enquêter sur les attaques sur des journalistes
Soutenir la demande de la rapporteuse spéciale des Nations-Unies pour la liberté d’opinion et d’expression de créer une équipe spéciale internationale sur la prévention, les enquêtes et les poursuites relatives aux attaques contre les journalistes, afin de lutter contre l’impunité.
Booster les outils de protection des jouranlistes existants de l’UE
Les écologistes demandent une augmentation substantielle du financement des mécanismes et outils de protection existants par l’UE et les États membres.
Accords bilatéraux : mettre en action la clause des droits humains
Une attention particulière doit être accordée aux violations graves des droits des journalistes dans l’activation et l’application de la clause des droits humains dans les accords bilatéraux de l’UE.
Aider à développer de la législation protectrice des journalistes
Encourager et aider les pays tiers à adopter des lois ou à revoir et réviser celles qui existent, relatives à la liberté d’expression en ligne et hors ligne.
Mettre en oeuvre les recommendations du Partenariat sur l’information et la démocratie
Le partenariat sur l’information et la démocratie rassemble 50 États de toutes les régions, qui appelle à la mise en place de garanties démocratiques dans l’espace de communication et d’information et reconnaît le droit à une information fiable; soutient la mise en œuvre des recommandations du partenariat pour l’information et la démocratie afin d’éclairer l’action de l’UE en faveur des pays partenaires dans ce domaine
Imposer aux entreprises d’être diligentes dans la protection des journalistes
Les entreprises du secteur privé, notamment dans le secteur numérique, doivent être obligée de mener une diligence raisonnable efficace et approfondie pour prévenir ou atténuer tout impact négatif sur la liberté d’expression, le pluralisme des médias et les droits des journalistes. Aussi, les plateformes doivent avoir l’obligation de supprimer rapidement les commentaires ou réactions en ligne qui compromettent la sécurité des journalistes et de demander des comptes à leurs auteurs.
Rapport annuel de la diplomatie européenne sur les violations des droits des journalistes
La diplomatie européenne (le SEAE) doit fournir un rapport annuel sur les violations des droits des journalistes dans le monde au Parlement européen
Principales victoires dans le rapport adopté par le Parlement européen
Retrouvez l’intégralité du rapport en suivant le lien.
Le Parlement reconnait le rôle essentiel joué par les journalistes dans le contrôle du pouvoir et la dénonciation des crimes commis par les entreprises et des atteintes à l’environnement. Il déplore que les conditions d’emploi et de sécurité des journalistes se détériorent et que la concentration de la propriété des médias va à l’encontre de la démocratie et du pluralisme et entrave la liberté d’expression.
Les eurodéputés demandent à l‘UE et les États membres d’augmenter leur financement pour soutenir les mécanismes de protection, de délivrer des visas pour soutenir les journalistes en danger et soutenir les organisations locales de la société civile dans ce domaine. Ils demandent au HR/VP d’accorder plus d’attention aux cas spécifiques de journalistes menacés et d’utiliser davantage les déclarations publiques, et au Service européen d’action extérieure (SEAE) et la Commission de lui faire régulièrement rapport sur l’état global de la liberté des médias et les violations des droits des journalistes. Il spécifie que le SEAE et la Commission devraient renforcer l’assistance de l’UE pour aider les pays tiers à mettre en place des cadres juridiques favorisant le pluralisme des médias et à enquêter sur les attaques contre les journalistes et à en poursuivre les auteurs.
Le Parlement demande qu’une attention particulière soit accordée aux journalistes dans les zones de conflit, notamment en ce qui concerne une assurance adéquate.
En ce qui concerne les entreprises, notamment dans le secteur numérique, le Parlement souligne qu’elles doivent faire preuve d’une diligence raisonnable efficace et approfondie afin de prévenir ou d’atténuer tout impact négatif sur la liberté d’expression, le pluralisme des médias et les droits des journalistes. Il appelle à ce qu’aucune exportation de l’UE ne permette de cibler les journalistes en terme de surveillance.
Les eurodéputés soutiennent par ce rapport les travaux menés au niveau des Nations unies et au niveau régional dans le domaine de la liberté des médias et de la protection des journalistes. soutient les travaux de l’initiative internationale d’un partenariat sur l’information et la démocratie.
Le Parlement note également par ce rapport l’augmentation des attaques contre les journalistes dans l’UE et rappelle son soutien pour le prix Daphne Caruana du PE (initié par les Verts/ALE).
Classement RSF 2022
En 2022, l’ONG Reporters sans frontières classe comme les pires pays pour la situation des médias, des journalistes et des organisations professionnelles au monde la Corée du Nord, l’Érythrée, l’Iran, le Turkménistan, Myanmar, la Chine, le Vietnam, Cuba, l’Irak, la Syrie, la Palestine, le Yémen, l’Égypte, Bahreïn et l’Arabie saoudite.
L’UE, un modèle dans la protection des journalistes?
Mounir Satouri
Tristement, non. L’Union européenne elle-même n’est pas exemplaire en matière de liberté de la presse. Quand on pense au contrôle oligarchique des médias français ou l’assassinat de journalistes en Slovaquie ou à Malte.
Le nombre de menaces et d’attaques contre des journalistes au sein de l’UE a augmenté ces dernières années, y compris des assassinats.
Daphné Caruana Galizia, journaliste d’investigation et blogueuse anti-corruption maltaise, tuée dans un attentat à la voiture piégée en 2017. Le Parlement européen a créé le Prix Daphné Caruana du en décembre 2019 en son hommage. Il récompense chaque année un-e journaliste exceptionnel-le qui promeut ou défend les principes et valeurs fondamentaux de l’Union européenne tels que la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit et les droits de l’homme,
Retrouvez l’intervention de Mounir Satouri en Comission des Droits humains
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