TRIBUNE : Monsieur le Président, affirmer que le nucléaire sauvera le climat est un mensonge
Alors qu’Emmanuel Macron ne cesse d’affirmer son attachement à l’atome, les Écologistes appellent la France à ne pas s’enferrer de nouveau dans la dépendance coûteuse et dangereuse à cette énergie.
Fin 2023, d’abord dans une tribune, puis dans ses vœux aux Françaises et aux Français, le président Macron a réaffirmé son attachement à la relance du nucléaire. Lui qui se questionnait en 2017 sur la pertinence de dépendre aux trois quarts d’une unique source de production d’électricité s’est transformé aujourd’hui en commercial de l’industrie nucléaire. A Dubaï, affairé à tripler la production mondiale d’ici 2050, il a activement milité pour la mention du nucléaire dans l’accord final de la COP 28.
A Bruxelles, le gouvernement français a fait pression pour que le nucléaire soit intégré dans la stratégie de décarbonation de l’Union européenne, obtenant notamment le soutien au développement des petits réacteurs nucléaires. La relance du nucléaire a commencé par un combat culturel, incarné par la systématisation de l’usage du terme «décarboné», dans les discours aussi bien que dans le code de l’énergie. Cherchant à mettre un signe égal entre énergies renouvelables et nucléaire, les promoteurs de l’atome se font les chantres de la décarbonation, négligeant les autres limites planétaires.
Or, contrairement aux énergies renouvelables, dont l’essor mondial est historique, le nucléaire fait grise mine hors du microcosme français car l’atome est dangereux, et coûteux. Des accidents graves ont rendu des zones inhabitables et les installations nucléaires sont des cibles militaires en cas de conflit, comme nous l’avions déploré pour l’Ukraine. Eoliennes et panneaux solaires semblent bien inoffensifs à côté.
UNE ÉNERGIE À COURTE VUE
Surtout, le nucléaire est une énergie à courte vue. Pour quelques décennies de production, nos sociétés laissent un héritage incommensurable aux générations futures : des déchets à intensité haute et à vie longue qui constitueront, des milliers d’années durant, une menace pour les écosystèmes. On comprend donc pourquoi si peu d’Etats s’emparent du nucléaire.
Pourtant, en France, le gouvernement met tout en œuvre pour faciliter la construction de nouvelles installations, à commencer par trois paires d’EPR2 à Penly, au Bugey et à Gravelines. La ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, tout en abandonnant des objectifs chiffrés pour les renouvelables dans son projet de loi, affirmait même dimanche souhaiter dépasser cet objectif. Deux décrets, publiés discrètement le 27 et le 30 décembre, entérinent cette accélération, au prix d’un moindre contrôle public des impacts environnementaux des centrales.
Parallèlement, l’exécutif poursuit son projet de démantèlement de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, pour le fusionner avec l’Autorité de sûreté nucléaire en une seule entité, l’ASNR, aux dépens de l’indépendance et de la crédibilité des expertises. L’adoption de ce projet de fusion, rejeté par la représentation nationale au printemps, acterait la fin du système dual de la sûreté nucléaire, pourtant salué internationalement. En macronie, il en est du nucléaire comme de beaucoup de domaines : les outils démocratiques, vus comme des entraves, sont tordus à l’envi. Etrange façon d’initier la relance que de fragiliser l’indépendance de la sûreté.
Le retour d’expérience de l’EPR de Flamanville est édifiant, il traduit l’incapacité à prévoir le calendrier et le coût du nucléaire : près de 20 milliards d’euros, six fois plus qu’initialement prévu, pour déjà treize ans de retard. En miroir de cette pompe à finances publiques, les éoliennes terrestres ont un coût deux fois moindre et peuvent désormais se passer de soutien public. De leur côté, nos centrales actuelles vieillissent, ce qui nécessite des arrêts plus réguliers et plus longs. Elles ne sont pas adaptées au réchauffement climatique : elles ont besoin de l’eau des fleuves pour se refroidir. Mais la multiplication des sécheresses rend le débit de ces derniers moins prévisible, ce qui fragilise le fonctionnement des réacteurs, d’autant plus lors des pics de chaleur. Quant aux centrales situées sur le littoral, elles sont directement menacées par les risques de submersion et de recul du trait de côte.
INVESTISSEMENT À CORPS PERDU
Enfin, comment ne pas aborder l’injustice environnementale qu’incarne l’extraction de l’uranium ? Au bénéfice de quelques-uns, dont la France, elle fait subir aux populations locales les conséquences d’une industrie minière toxique et participe à la fragilisation des Etats, tel le Niger. Si l’on se fonde sur les estimations des ressources faites par l’Agence internationale de l’énergie atomique, un équipement nucléaire du niveau de la France n’est pas soutenable au niveau mondial.
Affirmer que le nucléaire sauverait le climat est un mensonge. Représentant 2 % de la consommation d’énergie finale dans le monde en 2022, sa production n’a jamais été aussi basse depuis trente ans. L’urgence absolue d’agir maintenant pour éviter le chaos climatique disqualifie l’option de la relance par les EPR2, encore en phase de conception et qui, en tout état de cause, ne pourront être opérationnels au mieux qu’à l’horizon 2035. Miser sur une relance forte de la production nucléaire dans le monde ne permettra donc pas de tenir les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. C’est maintenant qu’il faut déployer massivement de nouvelles capacités de production d’électricité et seules les énergies renouvelables répondent à cet impératif.
En France, l’investissement à corps perdu pour le maintien du parc et la création de nouveaux réacteurs conduit au sous-investissement vers les renouvelables mais aussi, et surtout, vers la sobriété des modes de vie, notamment des transports et de l’habitat. La sobriété se conjugue, dans tous les secteurs, avec l’indispensable efficacité énergétique. Pourtant, cette dernière n’a connu aucun programme d’envergure, tout juste quelques rustines sur la lutte contre les passoires thermiques, dont les ménages précaires souffrent encore terriblement.
Après l’Allemagne, l’Espagne et d’autres pays européens préparent démocratiquement leur sortie du nucléaire, quand d’autres se sont toujours refusés à y entrer. Ce qui va se jouer dans les prochains mois en France et en Europe, c’est bien la lutte entre deux visions, deux projets pour la tenue des objectifs européens : le choix dangereux et coûteux du nucléaire, de l’ébriété énergétique, ou celui des renouvelables et de la sobriété.
PREMIERS SIGNATAIRES
Yannick Jadot sénateur de Paris, Julie Laernoes députée de Loire-Atlantique, Daniel Salmon sénateur d’Ille-et-Vilaine, François Thiollet député européen, Marine Tondelier secrétaire nationale Les Ecologistes-EE-LV, Emeline Joigny et Olivier Loubès co-responsables commission Energie & Climat de Les Ecologistes-EE-LV, Guy Benarroche sénateur des Bouches-du-Rhône, Olivier Bertrand adjoint au maire de Grenoble, Olivier Berzane maire du VIIIe arrondissement de Lyon, Yasmine Bouagga maire du Ier arrondissement de Lyon, Yannick Brohard conseiller régional des Hauts-de-France, Rémi Chabrillat adjoint au maire de Clermont-Ferrand, Cyrielle Chatelain députée de l’Isère, David Cormand député européen, Patrick Chaimovitch maire de Colombes, Monique De Marco sénatrice de Gironde, Claire Desmares présidente du groupe écologiste à la région Bretagne, Nour Durand-Raucher conseiller de Paris, co-trésorier Les Ecologistes-EE-LV, Charles Fournier député d’Indre-et-Loire, Philippe Guelpa-Bonaro vice-président climat et énergie de la métropole de Lyon, Antoinette Guhl sénatrice de Paris, Guillaume Hédouin conseiller régional de Normandie, membre de la commission locale d’information de la Manche, Thomas Hutin conseiller régional des Hauts-de-France, Jérémie Iordanoff député de l’Isère, Samia Lakehal co-trésorière Les Ecologistes-EE-LV, Maxime Meyer conseiller régional d’Auvergne Rhône-Alpes, Didier Missenard premier adjoint au maire d’Orsay, Mathilde Ollivier sénatrice des Françaises et Français de l’étranger, Eric Piolle maire de Grenoble, Marie Pochon députée de la Drôme, Raymonde Poncet Monge sénatrice du Rhône, Sandra Regol députée du Bas-Rhin, Chloé Sagaspe conseillère de Paris, Sabrina Sebaihi députée des Hauts-de-Seine, Anne Souyris sénatrice de Paris, Mélanie Vogel sénatrice des Françaises et Français de l’étranger, Katy Vuylsteker conseillère régionale des Hauts-de-France.