Un moment-clef pour la taxation des multinationales et l’équité fiscale

Mardi 5 avril, les Ministres des finances des 27 pays de l’UE se réunissent en  Conseil des Affaires économiques et financières (ECOFIN). Au programme, la recherche d’un accord sur le niveau d’imposition minimum mondial pour les multinationales. Conclu au niveau de l’OCDE, cet accord, qui prévoit une imposition minimale de 15%, doit maintenant être transposé dans le droit européen.

En mai 2021, le président américain Joe Biden jetait un pavé dans la mare en proposant, sous l’égide de l’OCDE, un taux unique à 21% pour la taxation des bénéfices à l’étranger des multinationales. Un objectif revu à la baisse (15% aujourd’hui) mais tout de même adopté par les 136 pays de l’organisation. La séquence actuelle est celle de l’implémentation dans la législation européenne de cet accord, avec les habituelles interrogations : faut-il le faire a minima par crainte de la concurrence d’autres parties du globe ou, au contraire, faut-il aller plus loin que l’accord de l’OCDE et faire de l’Union européenne un modèle pour la justice fiscale ?

Un calendrier serré au Conseil comme au Parlement européen où je négocie pour les Verts

Le sujet est éminemment complexe et politique. Il a déjà été abordé au conseil ECOFIN de début mars, sans toutefois que les ministres ne parviennent à un accord. Mais un dénouement est probable d’ici juin, car Bruno Le Maire, le Ministre des Finances français a annoncé que la conclusion d’un accord sur ce dossier était une des priorités de la présidence française du Conseil de l’UE.

M. Le Maire, qui prend par ailleurs quelques largesses avec la vérité en affirmant que c’est grâce à la France qu’il y a eu un accord à l’OCDE. C’est plus que discutable. Le rôle de la France a surtout été d’œuvrer à baisser à tout prix le taux.

En parallèle du travail en ECOFIN, le Parlement européen étudie le dossier et consolide progressivement sa propre position. Dans ce travail, mené par la commission des Affaires économiques et financières (ECON)je suis le négociateur désigné par le groupe Verts/ALE. Le texte est porté par Aurore Lalucq, membre du groupe socialiste. L’adoption de ce rapport en plénière est prévue pour juin 2022.

Pourquoi il y a urgence à aboutir sur ce texte

Non seulement les multinationales polluent et présentent un bilan climatique problématique, mais en plus elles sont devenues expertes en optimisation fiscale. En effet, celles-ci ont les moyens de rémunérer des intermédiaires, experts comptables, fiscalistes spécialisés grâce auxquels elles minimisent artificiellement leurs bénéfices et surtout l’impôt qu’elles paient, quand elles en paient. Leur jeu favori pour ce faire : le nomadisme fiscal mondial, mais également au sein même de l’Union européenne, où elles ont la possibilité de déplacer virtuellement leurs activités, avec la complicité de certains Etats.

Ainsi, les multinationales se hissent au-dessus des États, des citoyen.ne.s et des TPE/PME en n’étant pas soumises aux mêmes règles. Une aberration aussi bien démocratique qu’en terme de concurrence juste. Un scandale également car c’est l’impôt qui finance nos routes, nos systèmes scolaires, notre santé, notre sécurité, etc. tout ce qui fait le bien-vivre ensemble. En profitant de tout cela (employés formés, en bonne santé, disponibles, dont les enfants sont pris en charge par la collectivité) sans participer, les multinationales agissent comme des passagers clandestins de la démocratie. Une attitude qui n’est plus acceptable, surtout au sortir d’une crise qui les a vu crouler sous les aides publiques et les distributions de dividendes, tandis que leur.e.s salarié.e.s, les services publics et le tissu vital des TPE/PME frôlaient la rupture.

Un texte imparfait mais qui représente une vraie avancée malgré tout

Tout d’abord, c’est la première fois que 136 États se mettent d’accord pour une mesure qui permet de lutter efficacement contre l’évasion fiscale au niveau mondial. Rien n’empêchait ensuite la Commission européenne de proposer un accord plus ambitieux dans son application européenne, mais cela n’a pas été le cas. La proposition diffusée le 22 décembre dernier est peu ou prou copiée collée du texte initial.

Cet accord négocié, donc, à l’OCDE, vise à taxer à hauteur de 15% les bénéfices des multinationales à l’étranger. En gros c’est un moyen de récupérer l’argent qui se serait évadé dans certains paradis ou certaines juridictions complaisantes. Avec le groupe Verts/ALE au Parlement européen, nous regrettons ce taux retenu de 15% qui est beaucoup trop faible. Les USA avaient d’ailleurs, au début des négociations, proposé 21%. La France aurait pu récupérer, avec ce taux à 21%, un gain de recettes de 16.4 milliards et près de 26.3 milliards avec un taux de 25%. 15% ne rapportent que 3 milliards de recettes fiscales. Au niveau européen ce passage de 21 à 15% va faire perdre près de 90 milliards d’euros. Pour rappel, c’est la France, par la voix de son ministre des Finances Bruno Le Maire, qui a mené le combat pour refuser les 21%.

Par ailleurs, l’accord ne concerne que les entreprises dotées d’un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros par an. Un seuil trop faible qui permettra encore à de nombreuses entreprises de pratiquer l’évasion fiscale. C’est pourquoi il aurait fallu proposer un seuil plus bas, notamment en commençant par les entreprises avec un chiffre d’affaires de 40 millions comme nous le proposons dans les amendements Verts au texte.

Aussi, le diable se cache dans les détails. Par exemple, on trouve dans ce texte une disposition qui pourrait réduire considérablement l’efficacité du dispositif. En effet, l’accord veut permettre aux multinationales de réduire les bénéfices soumis à l’impôt minimum d’un montant égal à 5 % de la valeur de leurs actifs et de leur masse salariale dans chaque pays.  Cette dérogation (“carve-out”) dont rêveraient nos TPE/PME, permettrait concrètement aux entreprises d’échapper à l’impôt tant qu’elles ont suffisamment d’opérations (actifs et employés) dans les paradis fiscaux. Cette exemption réduirait les recettes fiscales de 15 à 30 % par rapport à un impôt minimum.

C’est pourquoi, quel qu’en soit le pourcentage, nous restons fermes dans notre demande d’un taux minimum effectif et non pas théorique. Pour l’Union européenne il s’agirait d’une protection contre les petits arrangements secrets et les ristournes accordées par certains États complaisants.

Certes, on le voit, cet accord n’est pas suffisant et présente encore bien des défauts mais c’est une avancée à saluer tout de même. Nous restons mobilisé.e.s pour le renforcer avant son entrée en vigueur et faire en sorte que les multinationales participent enfin à l’effort de solidarité collectif. C’est une question de justice et de conception démocratique.

Claude Gruffat

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